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Claire Denis / 2022

Avec amour et acharnement


par Ginette Vincendeau / jeudi 13 octobre 2022

Avec ennui et misogynie…

Dès le titre, Avec amour et acharnement, on comprend que le dernier film de Claire Denis, réalisé d’après un roman de Christine Angot, traite de l’un des sujets de prédilection du cinéma français : les ravages de la passion amoureuse. L’équipe Denis-Angot est a priori prometteuse. Figures incontournables du cinéma d’auteur (Denis) et de l’autofiction (Angot), chacune a produit, séparément, des œuvres puissantes : on pense à Chocolat, J’ai pas sommeil ou 35 rhums pour Denis, à L’Inceste et Un amour impossible pour Angot. Leur premier long métrage ensemble, Un beau soleil intérieur en 2017 offrait un beau rôle à Binoche en artiste-peintre qui passe d’un amant à l’autre sans trouver son bonheur et une scène à Depardieu qui y interprète un « voyant » peu crédible mais cocasse. Le film cependant déjà agaçait par son côté bobo parisien et son incapacité à penser un personnage de femme hors de sa condition d’amoureuse. Rebelote avec le nouveau film qui nous inflige une vision stéréotypée de « l’amour » et du personnage féminin en particulier.

Dès les premières scènes (trop) idylliques, où l’on voit un couple d’un certain âge mais encore glamour (Binoche et Vincent Lindon) en train de nager dans les eaux bleues de la Méditerranée, s’embrasser, faire l’amour et se murmurer des petits riens, on devine que cela ne va pas durer. Le couple rentre à Paris et on apprend petit à petit que Jean (Lindon) a fait de la prison mais on ne saura jamais vraiment pourquoi ni en quoi exactement consiste son métier – il travaille vaguement dans le milieu du sport ; on se demande pourquoi tant de mystères : est-ce parce que le cinéma d’auteur se refuse à être « sociologique » ? Sara (Binoche) est journaliste pour une radio culturelle – elle converse surtout avec des personnes « racisées ». Le propos du film sur les questions raciales n’est cependant pas clair. D’un côté l’ancien footballer Lilian Thuram s’exprime à son micro avec conviction sur le « privilège blanc », d’un autre Jean s’oppose violemment à son fils Marcus (Issa Perica, le jeune héros des Misérables de Ladj Li), adolescent métisse en échec scolaire, lorsque celui-ci évoque le racisme en France (« tu es une personne », lui dit-il ; en gros, blanc ou noir c’est la même chose).

Si la vie de Jean est compliquée par ses rapports avec son fils qui vit chez sa grand-mère (Bulle Ogier dans un rôle trop court) à qui il dérobe de l’argent, les problèmes du couple sont causés par le retour de François (Grégoire Colin), ancien amant de Sara et ancien collègue de Jean, les deux hommes ayant décidé de retravailler ensemble. S’installe alors une situation de ménage à trois non assumée. Jean et Sara répètent en boucle et contre toute évidence que le retour de François ne pose aucun problème. Cependant, le jour de l’inauguration de la nouvelle entreprise de François et Jean, Sara inexplicablement se transforme en femme fatale outrancière : robe du soir décolletée, rouge à lèvres écarlate, manteau de fausse fourrure, les yeux brillants de larmes, tout cela pour aller dans les bureaux d’un club de sport…

Sara se met à revoir François en cachette et couche avec lui, tout en affirmant à Jean qu’il n’y a rien entre eux. Lorsque celui-ci se pose (enfin !) des questions, elle le prend de haut. Finalement, c’est François lui-même qui révèle le pot aux roses à Jean. S’ensuit une scène de rupture où Jean traite Sara de « salope » et « pute » – difficile de ne pas conclure qu’elle ne l’a pas volé : en plus de la trahison de Jean, elle a réussi à briser l’amitié entre les deux hommes. Elle sera punie en se retrouvant seule, tandis que Jean et son fils se réconcilient. Malgré leur talent, Juliette Binoche et Vincent Lindon ne parviennent jamais à rendre leurs personnages attachants ou crédibles ; quant au personnage de François, il existe à peine. Non seulement Sara ne s’élève jamais au-dessus de la caricature misogyne de la traitresse dont la sexualité détruit les hommes (qui, eux, sont honnêtes), mais les gros plans insistants, les décors quelconques et la musique envahissante rendent la vision du film singulièrement déplaisante.


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