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Alice Zeniter et Bernard Volnais / 2023

Avant l’effondrement


par Geneviève Sellier / mercredi 10 mai 2023

Des femmes discutent politique...

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Alice Zeniter dont on a lu en particulier le roman L’Art de perdre (2017), passe à la mise en scène de cinéma après l’écriture et la mise en scène de théâtre. Avant l’effondrement, co-écrit et co-réalisé avec Bernard Volnais, a été tourné en 2019 devait sortir en 2021, mais n’arrive sur les écrans qu’en avril 2023. Pourtant les questions qu’il soulève restent d’une actualité brûlante et la façon dont il tente d’articuler le personnel et le politique est nettement plus convaincante que dans le récent De grandes espérances

Tristan (Niels Schneider), 35 ans, qui dirige la campagne de Naïma (Myriem Akheddiou), une candidate écologiste aux législatives au cours d’un mois de juin caniculaire, reçoit sous pli anonyme un test de grossesse positif. Littéralement foudroyé par tout ce que suppose ce geste, de la part de celle qui l’a envoyé et en ce qui le concerne, il appelle à l’aide sa meilleure amie Fanny (Ariane Labed) qui est aussi sa coloc. Il lui fait, contraint et forcé, la liste des femmes avec qui il a eu des rapports sexuels dans les semaines qui précèdent, d’où il ressort une pratique assez désinvolte de baises occasionnelles, avec Mati (Séphora Pondi) une des stagiaires de la campagne, avec Anna (Ana Blagojevic) l’aide-soignante de l’EPAHD qui s’occupe de son père atteint d’Alzheimer, avec une fille qu’il a rencontrée dans un bar avec un degré d’alcoolémie tel qu’il ne souvient plus de son nom, enfin avec Pablo [1] (Souheila Yacoub), son ex petite-amie, la seule à qui il est lié affectivement, et avec qui il couche quand elle passe à Paris, alors qu’elle s’est installée en Bretagne avec un collectif informel qui pratique la permaculture et l’élevage, sous l’influence de la collapsologie (d’où le titre du film…). L’affaire se complique du fait que Tristan est peut-être atteint d’une maladie dégénérative et génétiquement transmissible qui a emporté sa mère à 40 ans. Mais s’il redoute de faire le test, il ne s’est pas toujours protégé : comme il l’avoue à Fanny, « c’est mieux sans… »

Avec l’aide de l’énergique Fanny, il décide de retrouver et de parler à ces quatre femmes mais c’est plus facile à dire qu’à faire… Cette quête met en évidence les effets les plus invisibles de la domination masculine dans un contexte apparent de liberté sexuelle pour toutes et tous.

Le film est divisé en chapitres qui varient les points de vue sur l’histoire et soulignent la passivité de plus en plus grande du personnage masculin, face à des personnages féminins dynamiques qui défendent leurs convictions et lui font honte de ses soupçons. La diversité des personnages féminins (et des actrices qui les incarnent) nous change agréablement des stéréotypes qui pèsent encore dans ce domaine. Certaines scènes sont très drôles, en particulier l’épisode avec Perséphone (Elsa Guedj), la femme rencontrée par Tristan dans le bar et que Fanny a fini par retrouver. Il semble que ce féminisme tout à fait assumé de la part des deux cinéastes. Benoit Volnais dans un entretien avec Vincent Raymond pour Le petit Bulletin (18/04/2023) déclare : « Pour vous dire à quel point c’est vraiment un film qu’on revendique comme féministe, à la fin de l’écriture de la première version, on avait relu le scénario en transformant tous les personnages qui sont des garçons et qui n’ont pas la nécessité impérieuse d’être des garçons en personnages féminins. Concrètement, c’est féministe en donnant du travail à des femmes. »

La figure de l’« homme doux » qui aurait abandonné les comportements machistes, est traitée avec moins de complaisance que dans beaucoup de films contemporains comme Chronique d’une liaison passagère (Emmanuel Mouret 2022), Le Parfum vert (Nicolas Pariser 2022), Les Enfants des autres (Rebecca Zlotowski 2022), Un beau matin (Mia Hansen-Love 2022), La Page blanche (Murielle Magellan 2022)…
On peut regretter que la campagne politique disparaisse littéralement de l’horizon dès lors que Tristan n’est plus capable d’assurer ses fonctions de directeur de campagne, sans qu’on en voie les conséquences, sinon qu’on apprend au détour d’un message téléphonique que la candidate a quand même gagné les élections.

Dans l’épisode final où Tristan retrouve Pablo dans sa ferme bretonne, on assiste au cours d’un repas collectif à une discussion politique entre Pablo et Fanny, l’une ayant choisi de changer de vie ici et maintenant, « avant l’effondrement », l’autre défendant la possibilité d’une révolution qu’elle prépare en enseignant de façon critique la littérature à ses étudiant.es de master de création littéraire. Cette scène assez longue manque de naturel et d’incarnation, chacune défendant ses choix de manière un peu trop théorique. Tristan et les autres convives les écoutent sans intervenir et le match se termine par une victoire apparente de Fanny qui renvoie Pablo à ses origines bourgeoises.

Décidément, discuter politique au cinéma est un défi difficile à relever, depuis les tirades théoriques revendiquées d’un Godard dans La Chinoise (1967) jusqu’aux luttes de pouvoir vides de sens d’Alice et le maire (Nicolas Pariser 2019) ou des Promesses (Thomas Kruithof 2022).

Malgré ces réserves, Avant l’effondrement reste une tentative intéressante de rendre compte politiquement des relations amicales, amoureuses et sexuelles entre jeunes adultes dans le contexte actuel de permissivité, de désillusion et d’angoisse de l’avenir.


générique


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[1Dans l’entretien à deux voix qui figure dans le dossier de presse, Benoît Volnais explique : Pablo était un nom de travail pour le personnage. Puisqu’elle est plutôt collapsologue, on l’avait appelée comme ça en référence à Pablo Servigne, qui a contribué à populariser en France la notion d’effondrement. Et nous avons longtemps pensé que nous le changerions au dernier moment. Mais ce prénom lui collait à la peau : il y avait quelque chose de magnifique dans ce personnage de femme désigné par un prénom masculin et lapidaire.