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Vincente Minnelli / 1956

Thé et sympathie


par Noël Burch / dimanche 23 juin 2024

Une critique du culte états-unien de la virilité

Thé et Sympathie VF by tokyvideo.com

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Je n’ai jamais beaucoup apprécié les films de Minnelli et celui-ci, dont le titre m’est familier, m’avait toujours repoussé à cause précisément de ce titre, que je trouvais trop... féminin. En quoi je reproduisais un peu la cible principale du film, qui est le culte typiquement étasunien de la virilité. Ce film doit être vu comme un pendant du livre essentiel de Leslie Fiedler publié quatre ans plus tard, Life and Death in the American Novel, où il affirme que les USA sont le pays le plus homophobe de l’histoire humaine.

L’action du film se passe dans une école secondaire privée pour garçons, chic et chère. Le scénario est de Robert Anderson, tiré de sa pièce à succès du même nom. Les personnages centraux sont Laura Reynolds (Deborah Kerr), l’épouse d’un des profs d’un corps enseignant entièrement masculin, et Tom Robinson Lee (John Kerr, aucune parenté), un étudiant de 18 ans. Le film s’ouvre lorsque celui-ci revient visiter la chambre dans le petit bâtiment où il vécut lors de sa scolarité. L’habitant actuel est absent. Tom regarde par la fenêtre et ses souvenirs reviennent...

Laura fait du jardinage, tandis que Tom joue de la guitare derrière sa fenêtre et chante « Plaisir d’amour ». A l’époque, comme nous l’apprendrons, il voulait être chanteur folk. Voilà déjà l’un des traits « féminins » que ses condisciples, obsédés par la virilité, lui reprochaient. Le film déroule deux thématiques sulfureuses : le harcèlement continu et de plus en plus virulent infligé à Tom (on l’a surnommé « sister » et bien que ni le mot ni aucun de ses équivalents ne soient jamais prononcés, il est évident qu’on le soupçonne d’être « queer » comme on disait à l’époque aux États-Unis).

D’autre part, Tom est manifestement amoureux de Laura, qui, avec son mari professeur, habite au rez-de-chaussée du bâtiment dont Tom occupe une chambre au premier étage, chambre qu’il partage avec un camarade nommé Al (Caryl Hickman), pratiquement le seul de ses condisciples à prendre sa défense. Tom est manifestement plus à l’aise avec les femmes qu’avec les garçons, uniquement préoccupés par les sports virils (football « américain » en tête...) et quand un jour Tom se joint à un groupe d’épouses de profs à la plage et se propose d’aider l’une d’entre elles qui a du mal à recoudre des boutons, la scène est surprise par un des garçons et la nouvelle se répand comme une trainée de poudre, confirmant tout ce qu’ils ont toujours suspecté ! (Le père de Tom confirmera plus tard que c’est une domestique qui a appris « ces choses-là » à Tom quand il était petit). Cette thématique de la virilité déficiente se présente à travers une série d’épreuves que Tom va devoir subir dans l’espoir de prouver qu’il est un « homme ». Son colocataire l’aide à modifier sa démarche, que « tout le monde » trouve féminine : il essaie de lui apprendre à « rouler les mécaniques » en marchant comme il le fait, lui... Mais en vain. Et quand Tom veut se joindre à deux garçons qui se lancent un ballon de foot, on fait semblant d’ignorer sa présence.

Il y a bien un sport où Tom excelle : le tennis. On voit les dernières balles du dernier match d’un tournoi qu’il va gagner, applaudi par un trio isolé de spectateurs alors que son adversaire surclassé bénéficie de toute une claque, et sa victoire est généralement méprisée : pour ces jeunes virilistes le tennis est perçu, surtout à cette époque, comme un « sport féminin ».

L’une de ces épreuves que Tom doit affronter, la plus bizarre de toutes, rassemble la plupart des étudiants sur un grand terrain où ils se battent plus ou moins violemment tous contre tous. Le père de Tom, qui traîne dans le film depuis quelques scènes, le pousse à participer à ce jeu rituel et le supplie de se « battre bien ». Le moment venu, ce « jeu », qui n’intéresse pas Tom mais auquel il se présente quand même, l’amène à se faire houspiller, bousculer et priver de sa chemise avant de s’enfuir.

Le titre du film, Tea and Sympathy, nous l’avons appris très tôt de la bouche de Laura, définit pour les épouses des profs, les limites qu’elles ne doivent pas dépasser dans leurs relations avec ces jeunes hommes : « leur offrir du thé et une écoute sympathique ». Ces limites, Laure va s’astreindre à les respecter... jusqu’au bout ou presque. Mais au fur à mesure que le film avance, et qu’elle passe de plus en plus de temps avec Tom, venu chercher refuge auprès d’elle pour échapper aux persécutions de plus en plus violentes de ses condisciples, ses sentiments deviennent évidents.

La dernière épreuve que Tom va s’astreindre à passer consistera à surmonter ce que l’on soupçonne être sa virginité. Le soir d’un grand bal organisé à l’école, où Tom n’a pas de cavalière, on l’incite fortement à aller voir la serveuse d’un snack-bar du voisinage aux mœurs légères, et qui va s’avérer en fait une prostituée occasionnelle. De mauvaise grâce il lui téléphone, se rend chez elle, essaie de la draguer, n’y parvient pas, panique totalement, s’empare d’un couteau de cuisine, apparemment veut se trancher la gorge. On le désarme, on appelle la police...

Dans une confrontation entre Laure et le père de Tom, celui-ci se montre fier que son fils soit allé chez une prostituée, preuve que c’est un Homme. Laura l’engueule...

Dans une scène bucolique et émouvante, Tom s’étant enfui à bicyclette, Laura le retrouve couché sous un arbre au bord d’une rivière. Ils s’étreignent enfin et (apparemment) font l’amour.
Quelques années plus tard, Laura a quitté son mari viriliste et odieux (devenu odieux, semble-t-il depuis que Tom est entré dans leur vie). Ce mari abandonné, visiblement amer, en rangeant les affaires de sa femme, a trouvé une lettre pour Tom, qu’il remet à celui-ci, venu poliment lui dire bonjour. Laura y confesse son amour pour le jeune homme, à mots couverts, mais rappelle leur différence d’âge... Nous apprenons que Tom, maintenant marié, a raconté leur histoire dans un roman à succès.

La thématique de la virilité meurtrière, si importante pour une compréhension de ce pays, y compris de sa politique étrangère, disparaît de la fin du film, ce qui est sans doute sa grande faiblesse. Mais ce n’est sans doute pas un hasard, plutôt une forme d’auto-censure, tout comme ce titre, qui privilégie le drame individuel d’un amour impossible, alors que la critique du virilisme est politique. Car si l’obsession virile de ces teenagers frise souvent la caricature, c’est à n’en pas douter un des traits essentiels de cette société malade. Moi-même, quand j’habitais New York avec mes parents, je subissais cette sorte de harcèlement, non certes dans le lycée privé chic, mixte et cher que je fréquentais gratuitement grâce au professorat de mon père à Columbia, mais dans les rues de ce quartier en lisière de Harlem. Et ce n’étaient pas des Noirs qui me bousculaient, me frappaient parfois en me traitant de pédé, mais des jeunes prolos d’origine irlandaise.

Arrivé en France à l’âge de 19 ans, il m’a fallu plus d’une année pour ne plus m’imaginer que voyant devant moi un attroupement de jeunes gens de mon âge devant un café ou un bar, je devais changer de trottoir, comme j’avais appris à le faire à Manhattan.


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