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Ruben Östlund / 2017

The Square


>> Geneviève Sellier / dimanche 5 novembre 2017


La Palme d’or 2017 a suscité des réactions mitigées parmi la critique… et en suscite aussi parmi les spectatrices ordinaires dont je fais partie, mais sans doute pas du même ordre.

Ce film fait partie d’un sous-genre culturellement masculin qu’on pourrait intituler « jeu de massacre » : il s’agit de (re)présenter un petit ensemble d’humains, aisément repérables comme faisant partie de l’élite (culturelle, sociale, économique), pour les soumettre à un traitement qui va les anéantir, tout au moins aux yeux des spectateurs du film. Mais il ne s’agit pas tant de dénoncer la domination sociale que de jouir de l’embarras – et plus, si possible – dont vont souffrir ces « heureux du monde » (pour citer Edith Wharton qui en connaissait un bout sur le sujet, même si elle n’a jamais pratiqué ce jeu).

Le grand ancêtre du genre est sans doute L’Age exterminateur de Bunuel – l’inspiration surréaliste mise à part – jusqu’à Chabrol et Haneke (avec des ambitions artistiques inégales évidemment)…

The Square met en scène un séduisant directeur de musée d’art contemporain en Suède, qui essaie de rendre compatible la recherche de subventions auprès de riches mécènes et la célébration des formes les plus « engagées » de l’art contemporain (The Square est une « installation » à l’intérieur de laquelle doit régner l’amour et l’entraide entre les humains…). Dès la première séquence, l’interview du directeur par une journaliste américaine, la messe est dite ! Malheureusement, il n’est même pas besoin de caricature pour tourner en dérision le discours aussi abscons que creux d’un certain art contemporain ! Et après ? Les deux personnages sont renvoyés dos à dos, la journaliste pour sa complaisance et le directeur pour son arrogance tranquille.

Au cas où on n’aurait pas compris l’esprit de dérision du réalisateur, la plupart des scènes dramatiques sont ponctuées par des arrangements de Bach des Swingle Singers…

Si je qualifie ce film interminable (2h20) de typiquement masculin (au sens culturel du terme évidemment), c’est que les personnages (et d’abord le protagoniste principal qui ne quitte quasiment pas l’écran) y sont épinglés comme par un entomologiste qui les regarde s’agiter (j’ai retrouvé l’esprit surplombant du Signe du lion de Rohmer), sans jamais chercher à leur donner une quelconque épaisseur ou nous permettre un peu d’empathie. L’affiche est d’ailleurs tout à fait abusive, Dominique West (le génial acteur britannique de The Wire) et même Elisabeth Moss (la tout aussi géniale actrice de Mad Men) ne faisant que des apparitions.

Là où le film montre le bout de son nez, c’est dans la caractérisation des « pauvres » qui, sous la forme d’étrangers à la rue, sont sensés nous rappeler la misère du monde « extérieur » à l’intrigue. Mais ces pauvres sont constamment agressifs, contrairement à la réalité de leur présence dans nos villes occidentales : une femme dans un fast food insulte le directeur qui lui paye un sandwich, un jeune garçon venu des quartiers « chauds » (où le directeur a retrouvé le portable et le portefeuille qu’on lui avait volés) harcèle notre héros jusque chez lui… On retrouve là la représentation paranoïaque des « autres » typiques d’Hollywood, dès qu’il s’agit de représenter les étrangers du Sud…

Les relations homme/femme n’échappent pas à la verve satirique du réalisateur, évidemment ! À côté de la quinquagénaire mince et distinguée (incarnation de la fonction décorative des femmes dans la classe dominante) qui ne se déplace pas sans son lévrier et signifiera au directeur sa démission, la fameuse journaliste américaine incarnée par Elisabeth Moss est là pour permettre l’indispensable scène de sexe, qu’on peut au choix trouver drôle ou pénible (les deux protagonistes se secouent alternativement comme des pruniers…), mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’elle peine à exister, y compris dans l’échange qu’elle a avec lui après, à propos de la capote dont il ne veut pas se séparer… et même quand le lendemain, elle lui demande des comptes sur le sens de leur rencontre, c’est lui qui a le dernier mot, suggérant que s’il l’a « conquise » si facilement, c’est qu’elle n’est pas insensible aux hommes de pouvoir.

Le principe du jeu de massacre, c’est que personne n’y échappe, ce qui enlève toute signification politique à l’affaire… En revanche, le narcissisme masculin du réalisateur y trouve sûrement son compte, surtout quand il reçoit la Palme d’or ! On peut d’ailleurs s’interroger sur le choix du jury présidé par Almodovar, qui côté narcissisme, en connaît un rayon !

>> générique

Polémiquons.

  • Intéressante critique, même si je fait une interprétation du film sensiblement différente.
    Le rapprochement avec le jeu de massacre me semble assez juste, mais si la cible de Bunuel était la bourgeoisie, celle de Östlund me semble être la gente masculine. C’était également le sujet du précédent film de Östlund "Turist", sans doute de manière plus évidente. Dans les deux cas Östlund s’attaque aux valeurs classiques de la virilité et s’emploie à les détruire.
    Dans "Turist" c’est un père de famille qui est pris en flagrant délit de lacheté et fait le choix de bomber le torse plutôt que d’admettre son erreur. Dans "The Square" le personnage cumule tous les atouts de la virilité et se fait humilier de bout en bout.
    Par ailleurs, je n’ai pas eu l’impression que le personnage de la journaliste en prenait pour son grade, au contraire elle constitue avec les enfants un des rares personnages qui en sortent par le haut.
    Mais sans doute le film pèche t-il en s’attaquant à plusieurs fronts en même temps (critique sociale, critique de l’art contemporain, critique du virilisme) et perd en profondeur sur les personnages secondaires (notamment ceux de Moss et West), là ou le précédent trouvait un équilibre sans doute plus juste.

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