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Joseph, un berger qui fait paître son troupeau de 120 chèvres sur le littoral corse et vend ses fromages dans le circuit local, est démarché par un mafieux qui lui propose 300 000 euros pour sa parcelle non constructible. Le maquis alentour a déjà été vendu par un voisin peu regardant. Le berger refuse et l’homme revient avec ses acolytes armés. On entend un coup de feu dans la bergerie mais c’est Joseph qui en sort et s’enfuit, poursuivi par les hommes de main dans le maquis. Commence alors une cavale où il est aidé par les uns, trahi par les autres, traqué par la mafia qui met l’ile en coupe réglée, via la bétonisation du littoral. Sa cousine qui vit sur le continent et revient pour les vacances va prendre fait et cause pour lui et s’occuper de ses chèvres.
Le Mohican fait suite à deux autres films récemment sortis sur les problèmes politiques de la Corse. À son image, de Thierry de Perreti (déjà l’auteur d’un film sur les dérives violentes des indépendantistes, Une vie violente 2017), est l’adaptation d’un roman de Jérôme Ferrari, qui vient de publier un autre roman sur la violence en Corse, Nord Sentinelle, après Le Sermon sur la chute de Rome, prix Goncourt 2015. Le Royaume (2024) de Julien Colonna raconte une autre cavale, celle semi-autobiographique du père du cinéaste, mafieux en fuite, avec sa fille adolescente. Le Mohican de Frédéric Farrucci sort au moment où est organisée la première manifestation contre la mafia à Ajaccio et propose une analyse politique sans ambiguïté. Contrairement au film précédent du réalisateur, La Nuit venue (2020), qui proposait une vision stéréotypée de la mafia chinoise.
Le cinéaste déclare : « Le film prend sa source dans deux documentaires que j’ai réalisés en 2017. L’un sur un vétérinaire agricole, Marc Memmi, un homme extraordinaire, avec une oreille en moins, à la fois poète, scientifique, hyper-politisé, qui interprète son propre rôle dans Le Mohican. L’autre sur un berger de littoral de l’extrême sud de la Corse, Joseph Terrazzoni, qui est au cœur de l’inspiration de ce film. Il faut savoir que l’élevage en littoral était une activité répandue en Corse et qu’elle a disparu au fur et à mesure que le tourisme et son corrélat, la spéculation foncière, prenaient le pas sur toute autre activité et repoussaient les bergers à l’intérieur des terres. »
L’inspiration documentaire du film se voit dans l’authenticité des paysages, des situations et des acteurs non professionnels, tous corses ; à travers la cavale de Joseph, on passe sans transition du maquis aux villas avec piscine sur le littoral, de la nature sauvage aux plages bondées de touristes. Joseph, grâce à un vétérinaire qui le soigne alors qu’il est grièvement blessé, finit par être recueilli par des bergers aussi pauvres que lui, qui abritent leurs troupeaux dans des baraquements en parpaing et tôle ondulée, loin de tout pittoresque. Les mafieux sont aussi des insulaires dont la capacité d’intimidation est d’autant plus grande qu’ils font partie de la société corse. Ils sont partout, et Joseph est chaque fois rattrapé quand il trouve refuge quelque part. Une des dernières séquences évoque les complicités d’une partie de la police locale. La violence mafieuse est incarnée exclusivement par des hommes : les jeunes sont les hommes de main d’un chef qui donne ses ordres depuis une magnifique villa avec piscine et tableaux de maître.
En même temps, le film se garde d’héroïser le berger : taciturne et maladroit, il est enfermé dans son refus de vendre sa bergerie, sans pouvoir en parler à ses proches ; il provoque involontairement la mort de celui qui tente de l’exfiltrer, dont la veuve sera elle-même menacée par la mafia. Son physique lourd nous le montre essoufflé par sa cavale, à la limite de ses forces quand il est blessé. Aucun happy end ne viendra nous rassurer.
Mais c’est une jeune femme, Vannina, la cousine de Joseph, qui va politiser la résistance du berger, en utilisant les réseaux sociaux ; les marques de solidarité avec le berger apparaissent alors sur les murs sous forme de portraits et Vannina entend dans un café-concert une chanson à sa gloire. Le film se termine sur la jeune femme qui incarne l’avenir de la résistance à la mafia.
Ainsi la violence est clairement associée à une masculinité traditionnelle et mafieuse, mais elle prend sens dans des rapports de force économiques contemporains : c’est l’exploitation touristique sans frein du littoral corse qui est en jeu, aux dépens de l’environnement et des activités agricoles traditionnelles. Le film montre bien que ce qui fait la valeur de la Corse aujourd’hui, c’est la beauté sauvage de cette montagne qui tombe directement dans la mer.