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Nader Saeivar / 2025

La femme qui en savait trop


par Maryam Mirzanejad / dimanche 28 septembre 2025

Femmes iraniennes : un film imprégné de clichés

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La femme qui en savait trop, réalisé par Nader Saeivar, raconte l’histoire de Tarlan, une enseignante syndicaliste à la retraite (interprétée par Maryam Bobani), témoin du féminicide de sa fille adoptive, Zara, par son mari, un homme influent. La police et sa propre famille lui conseillent de garder le silence, mais Tarlan choisit de résister et poursuit son combat pour faire éclater la vérité. Le film suit également Ghazal, la fille de la victime, petite fille adoptive de l’héroïne et belle-fille du bourreau.

Ce film n’a sans doute pas été fait pour moi, femme iranienne dans la quarantaine, qui ai traversé tant de hauts et de bas dans ma vie quotidienne. Peut-être veut il montrer l’une de ces milliers de femmes iraniennes qui, comme des termites, rongent lentement une structure rigide de l’intérieur. Mais il ne réussit jamais à dépasser la surface. Peut-être qu’il convainc un public occidental, obligé de regarder l’expérience féminine iranienne à travers les portes closes du pays et l’écran de cinéma. Pour ma part, je suis sortie de la salle insatisfaite. Les personnages m’ont semblé stéréotypés, la structure narrative faible, et surtout la complexité de la société iranienne – ses dualités, ses contradictions familiales – absente. Un thriller exige une intensification progressive du danger et des choix impossibles. Dans La femme qui en savait trop, nous n’avons que répétition. Le résultat n’est pas un thriller tendu.

Le film tente de présenter Zara à la fois comme victime de violence et comme femme avant-gardiste, comme enseignante de danse. Ce rôle aurait pu symboliser résistance et agentivité, mais cet aspect est réduit à une étiquette décorative, au lieu de nourrir une véritable profondeur du personnage. Finalement, l’image de la victime l’emporte sur tout : Zara cesse d’être une figure nuancée pour devenir le cliché de la femme sans défense. L’homme, quant à lui, est, dès la première scène, figé dans le rôle d’incarnation de l’oppression, sans passé ni complexité qui l’humaniseraient. Placé immédiatement du côté du « mal absolu », il n’a plus aucune chance d’exister autrement. La police suit le même schéma caricatural : agents sans âme, indifférents et soumis au pouvoir. Ni les figures masculines ni les institutions ne laissent apparaître la moindre contradiction ou alternative. Le drame, qui devrait se construire sur des tensions et des choix impossibles, se réduit alors à une opposition binaire, noir contre blanc, femmes contre hommes.

Tarlan, l’héroïne principale, n’échappe pas à ce schéma. Censée incarner silence et résistance, elle se contente de démarches répétées auprès de la police, toujours infructueuses. Ces scènes, qui auraient pu créer une montée progressive du suspense, deviennent monotones. Aucun danger nouveau ne surgit, aucun choix déchirant ne s’impose : Tarlan se fige dans une passivité qui détruit toute tension propre au thriller.

La fin du film illustre la même superficialité. La scène où Ghazal, la fille de la victime, lâche ses cheveux au vent et danse, semble d’abord poétique et porteuse d’espoir. Mais elle ressemble davantage à une affiche publicitaire qu’à l’aboutissement naturel d’un récit dramatique. Pour moi, cette danse n’est pas signe de résistance durable, mais un exemple de symbolisme creux, ignorant la vie quotidienne des Iraniennes. Danser dans la rue n’est pas un simple slogan : c’est la continuité d’une expérience historique, d’un combat pour abolir la dualité entre vie cachée et vie publique. Depuis des années, les femmes dansent dans les foyers, les cercles familiaux, les salles privées ou les sous-sols ; aujourd’hui elles veulent porter cette expérience dans la rue. Mais le film efface cette dimension historique et réduit la danse à une image grossière de « liberté ».

La famille est traitée avec la même simplification. Le conflit entre fille et père (ou beau-père) se réduit à une opposition simpliste : l’homme, symbole de pouvoir et d’oppression ; la femme, symbole de résistance. Or, dans la réalité, la famille en Iran est un espace complexe de négociation et de redéfinition. Dans le film, cette dimension disparaît, laissant une image stéréotypée qui efface la résistance quotidienne.

Plus grave encore est l’oubli des fractures sociales. En Iran, une partie de la classe proche du pouvoir contourne nombre de restrictions imposées aux autres. Les femmes de ces milieux accèdent à l’éducation, aux voyages, aux carrières et aux soutiens informels – des libertés inaccessibles à la majorité. Leur vie ressemble davantage à celle des femmes des pays occidentaux qu’à celle de la classe moyenne, souvent en rupture avec l’État et engagée dans une résistance quotidienne. C’est un paradoxe : le régime est bâti sur l’hostilité aux femmes, mais ce sont les femmes les plus proches du régime qui jouissent du plus de libertés.

Les trois figures féminines censées incarner des générations différentes tombent dans le même piège de simplification. Elles ne reflètent pas la complexité de l’expérience vécue par chaque génération. Pourtant, les Iraniennes de chaque génération et de chaque classe ont suivi des trajectoires variées et semées d’embûches : des luttes constitutionnelles et du droit de vote, à l’éducation, au travail, aux voyages, à l’indépendance financière. Cette longue histoire de luttes, dont le mouvement « Femme, Vie, Liberté » n’est pas le point de départ mais la continuité, est absente du film.

C’est pourquoi je n’ai pas eu le sentiment de voir sur l’écran une expression de la vie réelle des femmes de mon pays. Les Iraniennes ne sont pas seulement des victimes ou des témoins muets ; elles choisissent. Elles dansent, chantent, étudient, travaillent, voyagent, votent, se savent précieuses. Elles rejettent si elles le veulent les rôles traditionnels et quittent des relations malsaines. Par ces actes, elles transforment la conscience masculine de la société. Or le film gomme toutes ces strates et réduit la femme iranienne à un cliché de « symbole de lutte ».

La femme qui en savait trop peut sans doute séduire un public occidental. Son réalisateur affirme vouloir dresser un portrait de la société iranienne actuelle et montrer comment le régime protège ses agents tout en effaçant la vérité. Mais cette intention reste, à mes yeux, inaboutie : le film se contente de symboles simplistes et ne parvient pas à restituer la complexité des vies réelles. Pour moi, Iranienne qui vit toutes ces contradictions, ce récit sonne creux et superficiel. La femme iranienne, en réalité, veut et peut choisir sa vie ; ce qu’elle revendique aujourd’hui, c’est la reconnaissance de ces acquis face à un pouvoir politique qui cherche à l’ignorer.


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