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Carine Tardieu / 2025

L’Attachement


par Geneviève Sellier / jeudi 27 mars 2025

A côté d'un énième père maternant, une figure féminine inédite de célibataire sans enfant

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Le second long métrage de Carine Tardieu, après Les Jeunes Amants (2022), aborde un sujet contemporain : les formes diverses d’attachement entre adulte et enfant, favorisées par les familles recomposées qui deviennent relativement nombreuses en France.

Sandra (Valeria Bruni Tedeschi), une libraire quinquagénaire qui assume sereinement son célibat, est sollicitée par ses voisins de palier pour garder Elliot, un garçon de 7 ans, pendant que la mère part accoucher. Mais quand Alex (Pio Marmaï) vient récupérer l’enfant, c’est pour lui annoncer que sa mère est morte. A partir de là, Sandra va se trouver embarquée dans une relation imprévue avec le petit garçon et avec son père, submergé par le deuil et par le bébé dont il a désormais la charge.

Passons sur la faible probabilité aujourd’hui en France de la « mort en couches », comme on disait autrefois. Outre la dimension émotionnelle de ce deuil qui s’impose aux spectateurices, cette disparition évite d’avoir à traiter d’une situation plus fréquente mais plus compliquée émotionnellement, d’un couple qui se sépare avec un ou des enfants en (très) bas âge.
Ici, la mère est morte donc le partage de la garde ne se pose pas, et le fait statistiquement très rare d’un père qui prend la charge entière des enfants, devient une obligation. Le scénario en rajoute une couche puisque le père d’Elliot n’est pas Alex, mais le compagnon précédent de la mère, David (Raphaël Quénard).

Le cinéma français contemporain est plein, en dépit de la réalité sociale, de pères maternants (biologiques ou non) qui assument courageusement la charge d’enfant(s) en lieu et place d’une mère défaillante. J’en ai fait une liste récemment à propos du Roman de Jim, mais elle est loin d’être close. Le plus troublant est qu’un certain nombre de ces films sont écrits et réalisés par des femmes (Jeanne Herry, Claire Burger, Eva Trobisch, Audrey Diwan). Faut-il y voir une attirance pour l’utopie, ou l’aspiration à un monde meilleur ? Auquel cas on se demande pourquoi il faut que la mère disparaisse pour que le père assume ses responsabilités… comme c’était déjà le cas dans l’énorme succès de Coline Serreau, Trois hommes et un couffin (1985), qui apparaît rétrospectivement comme la matrice de ce courant.

Le profil de « gentil nounours » de Pio Marmaï contibue à créer de l’empathie avec le personnage, mais on remarquera que son travail (dans la banque) n’a aucune existence dans la fiction : le film n’abordera pas des questions aussi triviales que la difficulté de s’occuper seul d’un bébé quand on travaille à plein temps. Et que le seul babysitter qu’on voit soit un homme, est un autre pied de nez à la vraisemblance.

Il faut mettre au crédit du film la figure relativement inédite au cinéma, incarnée par Valeria Bruni Tedeschi, celle d’une femme investie dans son travail, célibataire sans enfant, et sans désir ni regret de maternité. Mona Chollet a exploré dans ses derniers ouvrages (Sorcières 2018, Réinventer l’amour 2021, Résister à la culpabilisation 2024) cette réalité sociale et les résistances de toutes sortes qu’elle suscite encore dans nos sociétés. Intellectuelle et féministe, Sandra accueille avec simplicité la demande d’affection du petit garçon et se montre capable d’aider le père, sans pour autant se tromper sur la nature de l’attachement de cet homme en deuil. Le scénario nous évite intelligemment la romance entre Alex et Sandra, mais aussi entre Sandra et Elliot. Même si leur rencontre est importante, elle ne remet pas en cause les choix de vie de Sandra, concrétisés par son déménagement qui met fin à leur intimité de voisinage.

En revanche, le personnage d’Emilia (Vimela Pons), la pédiatre qui nouera une relation amoureuse avec Alex, est écrit avec beaucoup de désinvolture. Les scènes qui les font se rencontrer sont traitées sur le mode de la comédie, mais ça bascule ensuite dans le drame de façon assez convenue quand Emilia se retrouve enceinte, visiblement sans l’avoir décidé (étonnant de la part d’une pédiatre…), puis fait une fausse couche. Enfin la scène du départ en Islande (hommage indirect à Solveig Anspach, autrice du scénario des Jeunes Amants ?) est peu convaincante : dans la file d’attente pour embarquer dans l’avion, Alex avoue être inquiet de laisser ses enfants 15 jours, et elle finit par partir toute seule.

Autre personnage insuffisamment travaillé : David, le père d’Elliot incarné par un Raphaël Quénard avec moustache (ce qui n’augmente pas son sexappeal !). Il fait irruption lors des obsèques de la mère et propose à Alex traumatisé de reprendre Elliot. Le petit garçon ira s’installer chez son père, revenant chez Alex certains week-ends, avant que David ne propose à Alex d’en reprendre la garde, pour ne pas séparer les deux enfants (la petite Lucille a grandi). Il y a une certaine désinvolture de la part des scénaristes à trimballer sans coup férir l’enfant d’un foyer à l’autre, quand on sait à quel point il est douloureux pour les enfants de changer de domicile, d’école et d’environnement familial. Sans doute pour donner un peu d’épaisseur à ce personnage de père assez falot, le scénario lui invente un « coup d’un soir » avec Sandra lors du mariage d’Alex et Emilia, mais ça n’ajoute rien ni à l’un ni à l’autre.

À côté de ces approximations scénaristiques dont le cinéma français est malheureusement coutumier, on saluera la présence de deux grandes actrices devenues trop rares : Catherine Mouchet, la sublime Thérèse d’Alain Cavalier (1986), qui incarne ici la grand-mère maternelle du bébé, dont on aurait aimé que le film lui donne un rôle plus dynamique. Et Marie-Christine Barrault, la mère de Sandra, qu’on redécouvre le temps d’une scène de diner très drôle, où les deux générations de femmes discutent féminisme, avec des échanges plus intéressants que ce que propose ce scénario inabouti.


générique


Polémiquons.

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