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Dix pour cent, saison 4


>> Geneviève Sellier / mardi 1er décembre 2020

la fin d’une belle aventure ?

La dernière saison (pour l’instant) de la série phare de France 2 Dix pour cent a les mêmes qualités d’écriture (en particulier les dialogues) que les précédentes, et la diversité des « stars invitées » (Charlotte Gainsbourg, Frank Dubosc, José Garcia, Sandrine Kiberlain, Sigourney Weaver, Jean Réno) témoigne de sa réputation dans les milieux du cinéma, national et international, populaire et d’auteur… ce qui n’est pas une mince performance ! Comme dans les saisons précédentes, on constate un équilibre genré dans les personnages récurrents comme dans les stars invitées. Tout au plus peut-on remarquer que les stars masculines sont nettement plus âgées que les féminines, ce qui correspond malheureusement à une réalité de cette profession : les acteurs font des carrières plus longues que les actrices et les hommes restent en haut de l’affiche plus longtemps que les femmes… L’actrice américaine, Sigourney Waever, est l’exception qui confirme la règle, puisqu’elle a 70 ans au moment du tournage de l’épisode 5, qui joue d’ailleurs avec beaucoup d’humour sur le vieillissement beaucoup plus visible du partenaire masculin qu’on lui destine, Bernard Verley, et qu’elle parviendra à évincer au profit d’un plus jeune et plus glamour. Inversion réjouissante des pratiques dominantes !

Cette saison 4 est marquée par la montée en puissance des personnages qui étaient en position dominée : la jeune Camille (Fanny Sydney), qui est passée du statut d’assistante à celui d’agent « junior », parvient à décrocher les droits d’adaptation d’un best-seller, premier roman d’une jeune écrivaine écolo ; par la suite Camille confondra son père qui a tenté de lui voler ce contrat. Hervé (Nicolas Maury), qui a eu la même promotion, tente de trouver de nouveaux talents pour Valérie Donzelli – la réalisatrice de La guerre est déclarée (2010) et Notre dame (2019) –, mais c’est finalement lui qu’elle engagera pour jouer. Noémie (Laure Calamy), qui a quitté l’agence ASK pour suivre Mathias (Thibault de Montalembert), son patron et amant, prend de l’assurance comme chargée de développement quand celui-ci devient producteur. C’est elle finalement et non Mathias qui produira le film de Xavier Beauvois. Depuis, Laure Calamy a littéralement « explosé » dans Antoinette dans les Cévennes.

Sophia (Stéfi Celma), qui a commencé comme standardiste à ASK, s’affirme peu à peu comme actrice, malgré les discriminations dont elle est l’objet en tant que racisée ; elle s’installe avec Camille, et les quatre « jeunes » vont rester solidaires. Même Gabriel (Grégory Montel), qui est passé d’agent junior à senior, et dont la « gentillesse » est tour à tour un atout et un boulet, parvient à sortir de sa confusion affective et professionnelle par le haut.

S’agissant des agents « seniors » d’ASK, on assiste au mouvement inverse : on peut regretter qu’Andréa Martel (Camille Cottin) vienne illustrer l’incompatibilité pour une femme entre une carrière ambitieuse et le maternage. Quand la saison 4 commence, sa compagne Colette a pris un congé de maternité, alors qu’Andréa est de plus en plus accaparée par ses « talents », y compris le soir. Le choix d’une crèche parentale (où chaque parent doit donner de son temps) ne fait qu’empirer les choses entre les deux mères, Andréa n’ayant ni le temps ni l’envie de s’y investir. Colette finit par disparaître, laissant à Andréa la charge du bébé (passons sur l’invraisemblance de cet abandon…). On a droit à une suite de péripéties assez lourdes sur les galères autour de la garde du bébé, qu’on s’attendrait plus facilement à trouver dans une série américaine ou britannique… En France, en tout cas quand on fait partie des CSP+ comme Andréa et Colette, et si l’on n’a pas de place en crèche, on fait appel à une assistante maternelle… Est-ce le changement d’auteur (Fanny Herrero a laissé la place à un duo masculin, Victor Rodenbach et Vianney Lebasque) qui explique cette vision caricaturale ? En tout cas, le fait que la série se termine sur l’abandon par Andréa de son métier d’agent « pour essayer de reconquérir sa femme et s’occuper de son bébé » conforte assez tristement une vision rétrograde de la vie des femmes, qui ne correspond plus du tout à la réalité sociale française.

Le couple formé par Mathias et Noémie réactive d’abord un scénario patriarcal usé jusqu’à la corde : le patron qui quitte sa femme pour sa secrétaire plus jeune et plus soumise… A la fin de la saison précédente, Mathias avait réussi à entraîner Noémie dans son départ forcé d’ASK. Nous les retrouvons dans une boîte de production où Mathias est aux ordres d’un patron encore plus cynique que lui (Stéphane Freiss). Si Noémie révèle dans ses nouvelles fonctions de « chargée de développement » des qualités qui semblent modifier le rapport des forces dans le couple, elle sera quand même trahie par Mathias qui fait passer sa carrière avant sa loyauté envers elle. Un accident cardiaque viendra opportunément lui faire prendre conscience des changements qu’il doit opérer dans son comportement s’il veut regagner l’estime de sa fille et de sa compagne : issue que l’on peut juger excessivement optimiste…
Arlette (Liliane Rovère) n’a plus qu’un rôle symbolique dans cette dernière saison, comme si la mort de son chien Gabin lui avait ôté toute son énergie…
Quant à la nouvelle recrue d’ASK, Eloïse (Anne Marivin), qui s’est d’abord fait connaître par son absence totale de scrupules pour voler des « talents » au profit d’une agence rivale, elle incarne de façon tellement outrée la « méchante » absolue qu’elle en perd toute crédibilité, rejoignant la longue cohorte des figures de femmes autonomes transformées en garces, dans une tradition misogyne qui se perd dans la nuit des temps…

Typique de la série, le 4e épisode traite, à travers les errements artistiques de Sandrine Kiberlain, du besoin des acteur/trices de se renouveler, mais aussi, dans le sous-texte, des hiérarchies socioculturelles dans le monde du spectacle. En effet, Sandrine Kiberlain achève de jouer dans un théâtre de boulevard une pièce de Barillet et Grédy dont le public âgé et provincial (et majoritairement féminin) l’exaspère visiblement, et Gabriel, son agent, la harcèle pour qu’elle accepte le rôle de la Comtesse de Ségur dans un film à costumes dirigé par Danièle Thompson… ce qu’elle considère comme aussi ringard ! A la faveur d’une fin de soirée dans un cabaret de stand up, elle décide de s’y lancer en demandant l’aide de Muriel Robin. Après une séance calamiteuse, celle-ci jette l’éponge mais Sandrine a déjà réservé sa place dans un cabaret pour faire son numéro qui sera un four absolu : elle se résigne alors à accepter la proposition de Danièle Thompson… Chacun·e son métier ! semble être la morale de l’histoire.

Mais plus profondément, compte tenu de la persona de Kiberlain associée au cinéma d’auteur – En avoir ou pas, 1995 et A vendre, 1998, Laetitia Masson ; Le Septième Ciel, 1997, Benoît Jacquot ; 9 mois ferme, 2013, Albert Dupontel ; Elle l’adore, 2014, Jeanne Herry ; La Belle et la belle, 2017, Sophie Fillières –, c’est de l’intériorisation des hiérarchies culturelles que traite cet épisode, comme le fait aussi l’épisode 2 autour de Franck Dubosc. Danièle Thompson, qui est, comme chacun sait, la fille de Gérard Oury, incarne un cinéma populaire plus féminisé et « moderne » que celui de son père, mais tout aussi éloigné du cinéma d’auteur : elle a pratiqué avec succès le film choral – La Bûche, 1999 ; Fauteuils d’orchestre, 2006 ; Le code a changé, 2009 ; Des gens qui s’embrassent, 2013 – et la comédie romantique – Décalage horaire, 2002. L’invention d’un projet de biopic sur la Comtesse de Ségur est peut-être pour les spectatrices averties un hommage à la cinéaste Jacqueline Audry dont le premier film sorti en 1946 est une adaptation féministe des Malheurs de Sophie. Mais visiblement, Sandrine Kiberlain l’ignore !

La critique de l’opposition mortifère qui caractérise la production audiovisuelle française, entre culture d’élite et culture de masse, cinéma d’auteur et cinéma populaire, cinéma et télévision, est l’un des fils rouges de Dix pour cent, et c’est sans doute l’une des raisons du succès de cette série...
L’optimisme de la série se marque par le fait que celui qui incarne la domination patriarcale (Mathias) est finalement acculé à accepter un changement radical des rapports genrés, et les personnages initialement dominés (Camille, Noémie, Nicolas, Sophia et dans une moindre mesure Gabriel) réussissent à « faire leur trou » sans trahir leurs idéaux.


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