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Julien Rambaldi / 2021

C’est la vie


Geneviève Sellier / mercredi 15 septembre 2021

Une vision masculiniste de l'accouchement

Mon compagnon, peu au courant de l’état de la comédie en France, m’a proposé d’aller voir C’est la vie : il pensait que ça pouvait intéresser mon site, puisqu’il s’agissait de femmes qui accouchent… L’expérience a été rude, pour lui comme pour moi…

Comme je sais qu’il ne s’agit pas d’une exception, mais plutôt de la norme de la comédie à la française plus ou moins héritière du théâtre de boulevard, je me sens obligée de m’interroger sur les raisons d’une telle médiocrité.

Ce qui est médiocre dans ce genre de film, ce n’est pas la distribution : les acteur·ices sont en général aussi nombreux que chevronnés : ici, on a Josiane Balasko en tête d’affiche, formant un duo de contraires avec Nicolas Maury, le jeune assistant homosexuel de Dix pour cent, qui depuis est passé à la réalisation avec Garçon chiffon (2020). Elle est une sage-femme qui prend sa retraite, lui est un obstétricien dans son premier poste, aussi rigide qu’angoissé. Le reste de la distribution est tout aussi brillant : Léa Drucker (César pour son rôle de femme harcelée dans Jusqu’à la garde, 2019) incarne une « executive woman » qui négocie avec les grands de ce monde ; le personnage de Florence Loiret-Caille (qu’on a pu apprécier dans les films de Solveig Anspach) a dû en passer par la PMA et va accoucher prématurément ; Alice Pol (qui était entre autres en tête d’affiche avec Océan dans Embrasse-moi, 2017) incarne une jeune femme indépendante qui préfère accoucher seule ; Sarah Stern qui incarne la fille dans la saga des Tuche, doit accoucher ici sous l’emprise d’une mère abusive et complètement perchée (Anne Benoit qu’on a vu récemment dans Lupin, la série phare de Netflix).

Le film est construit sur le montage alterné de cinq histoires mettant en scène des femmes d’abord à la conception puis à l’accouchement de leur enfant. Censées former un kaléidoscope reflétant la diversité des situations des femmes qui enfantent dans le monde contemporain, ces cinq histoires sont dessinées à si gros traits qu’on a honte pour les scénaristes : une rencontre via un site débouche immédiatement sur une scène de sexe torride et une grossesse ; la femme d’affaires convoque son mari à son bureau entre deux avions pour un accouplement à des fins reproductives ; la mère abusive s’immisce jusque dans les visites gynécologiques de sa fille, évinçant le pauvre mari ; un couple lesbien utilise un copain pour que l’une d’entre elles tombe enceinte, et on le voit besogner l’une sous les yeux exaspérés de l’autre (qui est noire pour faire bon poids). Tout est à l’avenant…

Ces cinq histoires témoignent surtout du désintérêt total du réalisateur/scénariste Julien Rambaldi, pour la réalité de ce que vivent les femmes… Il s’est fait connaître par une autre comédie, Bienvenue à Marly-Gomont (2016) – tout aussi lourde si l’on en croit la bande-annonce –, racontant l’arrivée d’un médecin noir avec sa famille dans un village de la France profonde.

Au-delà des caricatures grossières dont le scénario est truffé, le film ignore totalement tous les débats actuels sur la grossesse et l’accouchement, en particulier les violences obstétricales… Au contraire, dans ce film, le personnel médical est exemplaire, ce sont les femmes qui se mettent en danger, soit à cause de leur désir d’indépendance, soit au contraire parce qu’elles sont sous l’emprise de leur mère, soit parce qu’elles sont obsédées par leur carrière, soit parce qu’elles sont trop angoissées.

En revanche, les maris-futurs pères sont exemplaires et tellement attendrissants : le mari de la femme d’affaires est aux petits soins, cherchant constamment à lui faciliter la vie sans jamais se mettre en avant ; c’est lui que le président de la République viendra féliciter, reconnaissant ainsi son rôle irremplaçable ! Le père du bébé prématuré utilise tous les moyens possibles pour rejoindre sa femme à l’hôpital, de la voiture de course au cheval, en passant par un kayak et un hélicoptère (bonjour la vraisemblance) ; et il parvient à embarquer avec lui une femme solitaire et désespérée (Julia Piaton) qui vient d’apprendre la mort de son père. Laquelle passe son temps à souligner à quel point cet homme est exceptionnel en se lamentant qu’il soit pris… Quant au type rencontré sur un site, c’est un arbitre de foot qui est fou de joie quand il apprend par la sage-femme indiscrète (Balasko) qu’il va être père, et n’hésite pas à mettre un point final au match qu’il arbitre, pour rejoindre l’hôpital. Enfin le mari écrasé par sa belle-mère finira la chasser par retrouver sa place auprès de sa femme, en mettant lui-même au monde son enfant !

Le jeune obstétricien lui-même, montré au début comme arrogant et dominateur, se révèle peu à peu terriblement angoissé par ses nouvelles responsabilités et reconnaîtra finalement la valeur de l’infirmière chevronnée qui se soucie autant de la sécurité affective de ses patientes que de leur santé physique. Les conflits hiérarchiques ne sont que des malentendus personnels qui peuvent être dissipés… On ne saura rien des problèmes innombrables de l’hôpital public.

Dans ce contexte à la fois consensuel et masculiniste, on n’est pas étonné que le couple montré comme le plus problématique soit celui des lesbiennes : au-delà de l’extrême vulgarité de la séquence d’accouplement avec le copain, celle qui n’accouche pas est montrée comme exclusive et jalouse, craignant d’être évincée par l’homme qui prend son rôle de géniteur un peu trop au sérieux. Elle tente de le droguer pour l’empêcher d’assister à l’accouchement, et finit par se battre avec lui si bien qu’ils sont tous deux expulsés de la salle. Avec ces péripéties grossières, c’est la légitimité des couples de femmes que le film tente de mettre en cause.

L’invraisemblance des situations est l’indice d’une posture de dénégation de la réalité : il s’agit de réhabiliter la gent masculine dans ce moment (la grossesse et l’accouchement) où la place des pères reste très problématique, faute d’investissement personnel la plupart du temps. Si le film ne fait pas confiance à la réalité, c’est pour de très bonnes (et mauvaises) raisons : il s’agit de prendre le contre-pied de tous les constats alarmants qui sont faits sur les maltraitances et la solitude des femmes pendant la grossesse et l’accouchement, et plus globalement de réhabiliter le pouvoir paternel et médico-patriarcal qui s’exerce de façon particulièrement violente pour empêcher les femmes d’avoir le contrôle de la reproduction, tout en les accablant d’injonctions contradictoires concernant la maternité.

Il reste que la participation de si nombreuses actrices remarquables à une entreprise aussi médiocre qu’anti-féministe est accablante. Quelle est la part des contraintes d’un système qui met les actrices en position particulièrement dominée et fragile ?

Quelle est la part de l’aveuglement propre à la France quant au contenu idéologique du cinéma de divertissement ? Peut-on y voir l’un des effets pervers de la mise en place depuis les années 1960 d’un cinéma à deux vitesses, cinéma d’auteur « sérieux » d’un côté, à petit budget et éligible à l’avance sur recettes, cinéma de genre « divertissant » (comédie, action ou policier) de l’autre, usant et abusant des numéros d’acteurs et de situations spectaculaires, au détriment du travail scénaristique, qui reste d’ailleurs le poste le plus mal rémunéré dans le cinéma français.


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