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Michelangelo Antonioni / 1966

Blow Up


>> Marc Gauchée / jeudi 24 septembre 2020

Les débutantes, premières victimes de la culture du viol

Dans une tribune intitulée « Blow Up, revu et inacceptable » (liberation.fr, 12 décembre 2017), Laure Murat explique que, lorsqu’elle a revu le film de Michelangelo Antonioni (1966), Grand Prix du Festival de Cannes en 1967, ce qui lui a sauté aux yeux, c’est « la façon odieuse et continue dont sont représentés les rapports entre les hommes et les femmes ». Elle dissèque la misogynie et le sexisme de plusieurs scènes et décrit son malaise, « l’idée qu’il y a cinquante ans, les relations hommes-femmes telles que décrites dans le film étaient considérées comme banales voire normales, alors qu’il ne s’agit que d’un choix d’auteur ».

À revoir le film, ce sexisme ne se laisse pas voir qu’à travers la violence imposée aux personnages féminins, il semble également s’exprimer à l’encontre des actrices dans une discrimination fondée sur la notoriété et l’âge. C’est ainsi que le traitement cinématographique de la nudité est différent selon le statut des actrices, selon qu’elles sont connues ou débutantes.

Ainsi les seins des actrices connues qui tiennent les rôles principaux sont toujours dissimulés, parfois très artificiellement. Lors de la première séance de photographies organisée par Thomas (David Hemmings), photographe de mode, le modèle Veruschka von Lehndorff (27 ans en 1966) qui joue son propre rôle, prend bien soin de tenir le haut de sa robe en se relevant. Sous le nom de Veruschka, la mannequin est déjà célèbre et l’année suivante, le 18 août 1967, elle fait d’ailleurs la couverture du magazine Life sous le titre « La fille que tout le monde regarde ».

Quant au traitement de la nudité de Jane (Vanessa Redgrave, 29 ans en 1966), il relève de l’exploit de mise en scène : sa poitrine nue est masquée soit par des objets qui servent de caches, soit grâce à des plans cadrés de dos ou à des poses élaborées. Vanessa Redgrave jouit déjà d’une notoriété certaine et appartient à une longue lignée de gens de théâtre (elle est la fille de Michael Redgrave), ce qui institue un rapport de force sur le plateau. L’année qui précède la sortie de Blow up, elle a obtenu le Prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes pour Morgan (Morgan : A Suitable Case for Treatment de Karel Reisz) et l’année suivante, en avril 1967, elle concourt au titre de Meilleure actrice lors de la cérémonie des Oscars pour son rôle dans Blow Up.

Les stratégies de dissimulation appliquées à Vanessa Redgrave ont d’ailleurs été parodiées dans le premier film de la série Austin Powers (de Jay Roach, 1997) qui comporte des scènes de nus où Austin (Mike Myers), photographe de mode et espion britannique, et Vanessa (Elizabeth Hurley), espionne britannique, ne laissent pourtant rien voir grâce à des objets judicieusement placés ou à des plans judicieusement cadrés comme dans Blow Up, mais de façon ostensiblement artificielle pour qu’on en rit.

Les actrices débutantes qui ont un rôle secondaire dans Blow Up ne bénéficient pas d’un traitement aussi respectueux. Blow Up est ainsi le premier film européen non pornographique à montrer un pubis féminin. Que ce soit la jeune modèle aperçue se changeant dans une pièce au fond du studio ou les deux jeunes filles, la blonde (Jane Birkin, 20 ans) et la brune (Gillian Hills, 22 ans en 1966) qui se présentent pour faire des photographies et se font violer par Thomas. Dans un premier temps, Thomas les expédie, mais la blonde dit « On revient cet après-midi ». Lorsqu’elles reviennent, Thomas déshabille la blonde alors qu’elle essaie une robe, elle se défend et le mord en essayant de détourner sa violence vers la brune : « Elle est mieux que moi ! », ce qui conduit les deux filles à se battre sous le regard de Thomas (la bagarre entre femmes sous le regard d’un homme spectateur, enjeu ou récompense, est une scène récurrente dans l’expression du sexisme au cinéma). Puis ils montent tous les trois dans l’atelier où Thomas commence à les déshabiller brutalement (l’homme ne peut s’exprimer sexuellement que par la violence), elles enlèvent leurs derniers vêtements en riant dans une mêlée générale (elles deviennent complices de la violence qu’elles subissent). La scène d’après, les filles rhabillent Thomas (elles sont matées) qui les congédie : « Foutez le camp ! » et refuse à nouveau de les photographier : « Je suis crevé, c’est votre faute » (la responsabilité du viol incombe toujours aux femmes) tout en leur disant de revenir le lendemain (l’emprise et l’autorité masculine sont maintenues).

Or la carrière des deux jeunes actrices qui interprètent la blonde et la brune (elles ne sont pas nommées autrement) est à peine engagée. Jane Birkin a fait une apparition, non créditée dans Le Knack... et comment l’avoir (de Richard Lester, 1964) et Gillian Hills a fait un film en tête d’affiche alors qu’elle n’avait que 15 ans, L’Aguicheuse (Beat Girl d’Edmond T. Gréville, 1960). Le film de Michelangelo Antonioni date de 1966, l’une des dernières années avant l’arrivée de films toujours plus dénudés. Déjà, en 1967, est diffusé en Europe le premier film d’une vague érotico-pornographique scandinave Moi, une femme (Jeg en kvinde de Mac Ahlberg).

Ainsi, en plus de « la façon odieuse et continue dont sont représentés les rapports entre les hommes et les femmes », Blow Up illustre une des lois toujours appliquées sur les plateaux de cinéma : on peut tout exiger d’une jeune actrice en début de carrière.

Polémiquons.

  • Mouais... On peut tout exiger de n’importe qui (homme ou femme) en début de carrière, en particulier dans des secteurs aussi concurrentiels et violents que le cinéma, la musique et les milieux artistiques en général (ou l’auto-exploitation est la règle).
    Ça n’est pas spécifique aux femmes (même si c’est sans doute plus dur pour elles).
    Il me semble également très exagéré de parler de "culture du viol" concernant la scène mentionnée. Elle est sans doute exemplaire d’un certain rapport de domination masculine encore unanimement accepté à l’époque, et toujours dans les esprits aujourd’hui, mais il me semble que le mot "viol" ne dénote pas ce qui se passe dans la scène. Un photographe utilise sa position privilégiée pour faire l’amour avec deux femmes, sans finalement rien concéder en échange. Qu’il s’agisse d’un rapport de domination, sans doute (même si là encore le monde n’est pas blanc et noir, mais fait de beaucoup de nuances dans ce que signifient les termes "violence", "plaisir", "acceptation", "désir" etc. etc.). Mais un viol est un évènement autrement plus violent.
    Utiliser les mots à tort et à travers leur fait perdre peu à peu toute signification, et il ne me semble pas que cela fasse avancer quoi que ce soit concernant ces problèmes.

  • Vous écrivez : "et se font violer par Thomas". La tournure correcte est : "elles sont violées par Thomas" ou "Thomas les viole".
    En français, "se faire" + infinitif indique que le sujet est volontaire pour l’action effectuée sur sa personne : "il s’est fait masser", "elle s’est fait opérer".

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